Axe « Théories sociales et épistémologie »

L’épistémologie a pour ambition d’interroger la façon dont la science construit ses critères de véridiction par rapport à ce que l’on considère comme étant « non-scientifique ». Qu’est-ce qui fait qu’une théorie peut être considérée comme étant une théorie scientifique ? Pourquoi et comment distinguer une controverse scientifique d’une controverse politique ? Qu’est-ce qu’un fait scientifique ? Et un fait scientifique existe-t-il indépendamment du regard qui le construit en tant que fait ?

Ces questions irriguent la construction des sciences sociales depuis leur naissance au 19ème siècle. Tous les grands courants de pensées ont cherché à apporter leurs réponses spécifiques : positivisme, déterminisme, interactionnisme, herméneutique, phénoménologie, ethnométhodologie, structuralisme, constructivisme, pragmatismes, études de genre… PragmApolis réinterroge l’ensemble de ces perspectives sociologiques afin de saisir la façon dont elles se conjuguent au présent et dont elles nous permettent de nous engager dans le monde. Car l’époque actuelle est propice à la relance de bien des controverses qui ont jalonné l’histoire des théories sociologiques. Aujourd’hui d’aucuns remettent en question le grand partage entre nature et culture, entre un monde inerte et (scientifiquement) exploitable d’une part et la rationalité humaine de l’autre. Et la connaissance en sciences sociales ne se construit plus uniquement à partir d’une rupture épistémologique avec ce que l’on suppose être le sens commun mais aussi à partir de la construction d’un monde commun avec tous ceux qui acceptent ses méthodes, sa rigueur.

Pour autant, PragmApolis entend se tenir à distance de tout relativisme. Les approches empiriques des sciences sociales, quels que soient les terrains d’enquêtes ou les objets concernés, ne se prévalent jamais d’un « tout se vaut ». Elles restent, tous courants confondus, plus robustes que les théories qui les contestent sans en utiliser les méthodes (que l’on pense au complotisme, au créationnisme, etc.).

La place prépondérante de « l’expertise » (notamment économique) dans le débat public tend à imposer une certaine conception de la science comme étant ce qui doit systématiquement motiver la décision politique, au risque de reléguer à l’arrière-plan le débat démocratique. Inversement, des partis-pris idéologiques, voire religieux, cherchent à rendre perméable la frontière qui traditionnellement sépare science et non-science en revêtant les oripeaux du discours scientifique.

Les théories sociales qui s’étudient à PragmApolis ont toutes contribué à qualifier et requalifier la spécificité des méthodes scientifiques en indiquant ce qui, à leur sens, leur permettait de prétendre à une validité plus solide sans jamais pour autant prétendre à l’absolu. Conscient que le politique n’est pas une activité étrangère à la science, en ce qu’elle se construit dans des débats, des agrégations, des interactions, des victoires et des défaites, notre groupe de recherche entend poser de plus belle la question de savoir comment la démarche scientifique peut contribuer à l’élaboration de la vie collective.

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Axe « Genre, corps et biopolitique »

Les études de genre, qui prennent racine dans la seconde vague du féminisme (des années 1970), constituent désormais un courant de recherches incontournable et reconnu, quoique toujours dérangeant et contesté. Leurs apports ont largement irrigué les recherches en sciences sociales, que celles-ci s’en revendiquent explicitement ou non. En effet, les études de genre sont à l’origine de renouvellements épistémologiques, théoriques et méthodologiques majeurs. Elles ont non seulement produit de nouvelles connaissances sur les femmes et les inégalités hommes-femmes (objets d’études longtemps délaissés), mais aussi repensé le sens même de ces catégories. Ces recherches ont permis de dénaturaliser les différences et les hiérarchies entre hommes et femmes (et entre masculin et féminin), en les envisageant comme des constructions sociales qui varient dans le temps et dans l’espace. Par ailleurs, elles ont été à la pointe d’un mouvement plus vaste de redéfinition de l’objectivité scientifique, en proposant une analyse critique de l’androcentrisme des sciences sociales, et de l’illusion d’un point de vue scientifique neutre. Ce courant a pu déboucher, notamment, sur un projet « d’objectivité (plus) forte » (Sandra Harding), parce que réflexive, assumant son point de vue situé, et consciente de ses propres limites.

Cet axe d’analyse du genre est également à l’origine des enquêtes sur le care qui, dans la lignée de Joan Tronto, mobilisé en tant que concept politique : ce concept permet de repenser les vulnérabilités humaines et non-humaines. En reconnaissant les relations d’interdépendance qui nous attachent les un·e·s aux autres, ces travaux ont développé une approche critique de la notion d’autonomie au cœur de nos sociétés contemporaines dans le champ du genre, mais aussi du handicap et de l’environnement.

Par ailleurs, la problématique du genre a contribué à renouveler le champ des recherches sur les biopolitiques et le gouvernement des corps et des conduites, à l’origine inspiré par Michel Foucault. Ce champ de recherches donne des outils pour penser les formes de pouvoir sur les vies qui ne se limitent pas à la discipline (interdits et obligations), et qui façonnent plutôt des champs d’actions (incitation, dissuasion et normalisation). Ces interventions biopolitiques peuvent faire l’objet d’approches par le haut (législations et politiques publiques) comme par le bas (du point de vue des gouverné·e·s), sans oublier le niveau intermédiaire (des professions, médicales par exemple, qui façonnent les comportements au quotidien).

PragmApolis s’inscrit dans ces perspectives, et s’intéresse au genre non pas en tant que champ de recherches thématique, mais en tant que concept susceptible d’apporter des éclairages cruciaux, quel que soit l’objet d’étude. Il est envisagé comme un axe d’analyse des inégalités et des rapports de domination à croiser avec d’autres axes (classes sociales, racialisation, âge, sexualité, handicap, spécisme). Les recherches de PragmApolis portent sur la façon dont les corps et les conduites sont gouvernés et expérimentés, en particulier dans les domaines du travail, de la santé, de la sexualité et de la procréation. Elles analysent comment les biopolitiques normalisent (ou échouent à normaliser) des comportements, reconfigurent des inégalités, et suscitent d’inévitables résistances. En tant que premier lieu du social, le corps est alors appréhendé dans ses dimensions politiques, mais aussi dans sa matérialité et son vécu quotidien.

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Axe « Politique et mouvements sociaux »

L’engagement public et politique joue un rôle décisif dans la transformation des sociétés contemporaines. En raison de leur dimension collective et de leur puissance contestataire, ils pèsent sur l’agenda des partis politiques et sur le choix des politiques publiques mises en œuvre. Plus profondément, ils contribuent à redéfinir le domaine du politique et du non-politique en contestant aux élus et à l’État le monopole de la chose publique. Au-delà des formes d’action publiques collectives et contestataires, PragmApolis s’intéresse également à l’engagement dans ses dimensions quotidiennes, populaires et associatives, lesquelles véhiculent une pratique subalterne du politique qui ne s’affirme pas comme telle.

Les mobilisations étudiées par les chercheurs et chercheuses de PragmApolis concernent des objets divers (économie sociale et solidaire, anticapitalisme, écologie, féminisme, LGBTQI, antiracisme, antispécisme) et recourent à des répertoires d’actions variés : syndicalisme, systèmes alimentaires alternatifs, désobéissance civile, décroissance, occupations de places publiques, expérimentations communautaires, artivisme, manifestations. Ces mobilisations s’inscrivent, pour certaines, dans des régimes dits démocratiques (Belgique, Corée du Sud, Espagne, France, Grèce, Italie, Etats-Unis, Afrique du Sud, etc.) et, pour d’autres, dans un contexte autoritaire (Chine, Russie, etc.).

Les méthodes qualitatives - notamment ethnographiques - mobilisées à PragmApolis permettent de prendre au sérieux les capacités critiques des acteurs et actrices. L’enjeu est de restituer le sens de l’action collective en se situant au plus proche de celles et ceux qui la mettent en œuvre, sans substituer à leur parole celle des scientifiques. Mais il ne s’agit pas non plus de perdre de vue l’apport des sciences sociales et, en particulier, leur propre vocation critique.

En ce sens, la sociologie des mouvements sociaux et politiques conduit à questionner ses propres catégories d’analyse. L’imaginaire positiviste et utilitariste qui prédomine encore dans les sciences sociales mérite d’être interrogé, sans quoi on s’interdit de comprendre le sens des mobilisations étudiées. La réflexion conceptuelle et l’enquête empirique vont de pair. Ainsi, au-delà de sa fonction descriptive, l’étude des mobilisations sociales et des engagements publics conduit aux questions politiques fondamentales de notre époque : une société post-capitaliste est-elle possible et souhaitable ? Si oui, quel est le meilleur moyen d’y parvenir ? Comment s’organiser sans reproduire les hiérarchies et les querelles qui minent la plupart des collectifs militants ? Comment institutionnaliser une expérience démocratique sans figer son énergie initiale ? Comment partager le pouvoir sans en nier l’existence ? Faut-il impérativement faire converger les différentes luttes et, si oui, autour de quel mot d’ordre ou de quel imaginaire ?

Enfin, si les mouvements sociaux font souvent signe vers un horizon émancipateur, critique de l’ordre établi, ils peuvent  aussi véhiculer diverses formes d’oppression. Le défi qui se pose à PragmApolis est d’articuler la description de la façon dont les personnes s’y prennent pour faire société sans prêter le flan à une confirmation de l’ordre du monde tel qu’il va. En effet, les questions de recherche qui irriguent les réflexions de la chercheuse ou du chercheur sur le terrain indiquent souvent le partage sinon d’un imaginaire de l’émancipation, en tous cas d’un certain monde commun. Mais quelle posture épistémique camper dès lors que précisément l’on enquête sur des groupes qui se revendiquent de l’ordre établi, voire d’une conception réactionnaire de la vie collective ?

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modifié le 15/01/2024

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